INTRODUCTION

2.7.09

De la baie d’Along à Sainte-Marie

À 20 ans, Nguyen Thi Y, dite Marie, quitte son Vietnam natal pour la Nouvelle-Calédonie et une vie plus douce. La mine de Tiébaghi aura vite fait de doucher ses espoirs. À 94 ans, sourire aux lèvres, la vieille dame se souvient…


Marie, de son vrai nom Nguyen Thi, est née le 10 mars 1915 à Haiduong ans la province de Hai Hung, au Nord du Vietnam. Son entreprise familiale de fonderie et avait trois épouses. Avec un sourire qui dévoile des dents laquées en noir (une tradition séculaire au Vietnam), la vieille dame raconte : « Chaque épouse logeait dans une maison. Mon père allait et venait à sa guise. Il avait l’embarras du choix ! ». La première femme avait donné naissance à quatre enfants et la troisième à cinq – deux filles, Thi Cong et Thi Y (Marie), et trois garçons, Ba Truong, Ba Nhi et Ba Trac. Quant à la deuxième épouse, elle n’eut pas d’enfant.
Marie ne sait ni lire ni écrire. À 12 ans, elle travaille pour aider sa famille : « Je devais frotter les
objets en fonte fabriqués dans notre atelier pour les faire briller. Plus tard, je suis allée vendre notre marchandise dans les communes voisines ».
Au fil des années, les relations avec sa sœur aînée Thi Cong se dégradent. C’est ce qui la pousse à partir de la maison. « J’avais entendu dire qu’il y avait des bateaux qui emmenaient les gens pour aller travailler dans le Pacifique. Beaucoup d’entre nous avons signé des contrats de cinq ans, dans l’espoir d’une vie meilleure à l’étranger. »


La fugue…

Un matin, sous prétexte d’aller vendre la marchandise, Marie se sauve de chez elle. Elle descend en train à Haiphong et, de là, embarque avec neuf cents autres compatriotes à bord du Lapérouse. « Je ne savais même pas où se trouvait la Nouvelle-Calédonie ! » Le 20 décembre 1935, elle débarque au port de Nouméa et dès le lendemain, se retrouve à Tiébaghi. Arrivées au camp, les femmes célibataires sont regroupées par quatre dans un studio. Chaque couple a droit à un petit logement individuel. Matricule 960, Marie est femme à tout faire, aux ordres du patron. Les Indochinois sous contrat sont traités comme des esclaves. « Au début, nous n’avions pas de jour de repos. Par la suite, nous avons eu droit au week-end, mais le samedi était réservé au nettoyage dans le camp. »



17 enfants !

Peu de temps après, Marie rencontre Nguyen Viet Dac qui deviendra son compagnon. De cette union, sont nés dix-sept enfants, mais seuls treize ont survécu. Marie les a mis au monde toute seule et sans aide. Elle travaille sans relâche pour 50 F par mois les deux premières années, puis 60 F et 70 F les suivantes. Au bout de cinq ans, le contrat s’achève, le couple et toute sa progéniture décident de rester à Tiébaghi. La vie s’améliore peu à peu, la communauté asiatique est autorisée à fêter chaque année le Têt. Une école vietnamienne, destinée aux enfants des travailleurs des camps, voit le jour. Viet Dac travaille toujours à la mine, tandis que Marie reste à la maison pour garder les enfants. « Beaucoup d’hommes sont morts dans la mine. Quand mon mari partait le matin, je ne savais pas s’il reviendrait vivant.»

Retour au Vietnam

À la fermeture de la mine en 1960, la famille décide de repartir au Vietnam, à l’exception de Marie qui reste à Nouméa chez l’une de ses filles, Thi Dieu (Yvette), mariée à un Français. Mais au bout d’un an, elle aussi rentre au pays. Un exode très mal vécu par les enfants nés en Calédonie. C’est la mort dans l’âme qu’en 1963 ils embarquent à bord de l’Eastern Queen.

Au foyer N’Géa depuis 1986

Au Vietnam, avec ses petites économies, la famille achète une maison proche de la baie d’Along, dans la province de Quang Ninh d’où est originaire Viet Dac. Ce dernier travaille quelque temps à la mine de charbon. « J’étais contente de retourner au Vietnam, mais la vie était dure et chère et nous étions considérés comme des étrangers.»
Mais en 1982, Marie revient en Nouvelle-Calédonie. Viet Dac décède peu de temps après. Elle habite pendant quatre ans chez Yvette, la seule à n’être pas partie au Vietnam vingt ans plus tôt, avant de faire une demande de logement au foyer N’Géa où elle vit depuis 1986.
Aujourd’hui, quatre de ses enfants vivent en Calédonie, tous les autres sont au Vietnam. Sa descendance compte plus de 200 personnes à ce jour, dont une centaine d’arrière-petits-enfants. « Mon rêve, dit-elle avec un grand sourire, serait de réunir tous mes enfants, petits-enfants et arrière petits-enfants du Vietnam et de Nouvelle-Calédonie ».


Traités comme des bêtes

Son regard se voile de tristesse quand elle repense à la cruauté des surveillants dans le camp de Tiébaghi : « Alors que j’étais sur le point d’accoucher, j’avais demandé l’autorisation au chef d’équipe de rester à la maison car j’avais mal au ventre, mais il m’avait répondu : “Non, tu travailles jusqu’à ton accouchement et si tu meurs avec ton bébé, on fera un trou sur place et on t’enterrera !” » Après quoi, il l’avait fouettée… Une fois que les femmes avaient accouché, les bébés étaient confiés rapidement à une nounou afin que le travail reprenne au plus tôt.


par Corinne Nguyen
Dans Courrier Sud de juin 2009

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