INTRODUCTION

23.7.09

Mémoires d'un village minier

Merci à Madame Epone JOUVE d'avoir concrétisé ce projet qui me permet de partager quelques unes des photographies de ma collection sur les vietnamiens des années 50 et 60.




21.7.09

Sergent-chef Jean Sorin

Le retour posthume d’un ancien d’Indochine


Pendant des années, Claude Sorin a enquêté et démarché pour retrouver la dépouille d’un père qu’il n’a jamais connu, le sergent-chef Jean Sorin, tué en Indochine au tout dernier jour des combats.




Le sergent-chef Jean Sorin a été tué le 20 juillet 1954, lors d’un des tout derniers accrochages avec les Viêt-cong, la veille de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu des Accords de Genève. Il est mort sans avoir jamais connu son dernier fils, Claude, celui qui vient de parvenir, après des années de démarches et de recherches, à retrouver puis à rapatrier sa dépouille en Nouvelle-Calédonie.


Autant dire que la cérémonie qui s’est déroulée hier dans le carré militaire du cimetière du 4e kilomètre n’était pas seulement teintée d’émotion et de solennité. Une lumière étrange et mystique éclairait ce spectacle d’un père et de son fils qui ne se sont jamais connus et se sont enfin retrouvés face à face. L’un debout, laissant couler ses larmes. L’autre allongé dans un cercueil drapé de bleu, blanc et rouge.


Ils sont venus nombreux à cette cérémonie particulière, à ces funérailles célébrées un demi-siècle plus tard. L’armée était là, bien sûr. Les anciens combattants d’outre-mer aussi.


Les officiels, de Jean Lèques à Eric Gay en passant par Philippe Dunoyer.Mais surtout une petite foule d’amis, de parents, et la famille proche. Détail hautement significatif, de nombreux adolescents et très jeunes adultes étaient là. Petits-enfants, petits- neveux… Et ils étaient les premiers à pleurer. Preuve que la mémoire de cet homme disparu longtemps avant leur naissance est restée très vive chez ses proches, et a été entretenue avec flamme.


C’est Michel Gérard, président de l’amicale des anciens combattants, qui a fait l’éloge militaire du sergent-chef. Jean Sorin était le fils d’un poilu de la Grande guerre, mort comme tant d’autres quelques années après avoir été gazé dans les tranchées.


« Ces soldats de France, dont les sépultures hâtivement creusées, ont maintenant disparu »


Né en 1926 à Saint-Nazaire, Jean Sorin s’est engagé à 17 ans, en 1943, dans les Forces françaises libres. Il a participé au débarquement de Provence puis à la reconquête du sol français. La Franche-Comté, l’Alsace, puis l’Allemagne. Ce qui lui vaut la Croix de guerre.


Ensuite, il part en Indochine jusqu’en 1948. Militaire de carrière, il est alors affecté en Nouvelle-Calédonie au bataillon d’infanterie coloniale. Et c’est là qu’il fait souche, en épousant Giselle Kaddour dont il a deux enfants. Le 21 janvier 1954, il repart se battre en Indochine, et il y trouve la mort au dernier jour des combats. Son fils Claude a alors quatre mois. Le père et l’enfant ne se verront jamais vivants.


Quelques mois après sa mort, Jean Sorin est fait chevalier de la Légion d’honneur. Mais sa dépouille reste au Vietnam. D’abord inhumé dans un cimetière militaire français, son corps est ensuite transféré dans une petite tombe presque anonyme. « Combien sont-ils encore, ces soldats de France, dont les sépultures hâtivement creusées ont maintenant disparu, caché par une nature qui reprend ses droits et le temps qui tout efface ? » a lancé Michel Gérard à l’adresse de ces « sentinelles abandonnées aux marches d’un rêve d’empire qui dorment dans leur linceul d’oubli ou dans les fosses communes des camps du viêt-minh. »


Combien sont-ils en effet ? Et combien de familles, comme celle de cet homme, gardent en elles la plaie vive d’un deuil qu’elles ne peuvent faire tout à fait.



Philippe Frédière
Les Nouvelles Calédoniennes du 21/07/2009

11.7.09

CHAQUE NUAGE EST NIMBÉ DE LUMIÈRE


Du Vietnam ravagé par un siècle de troubles et de guerres, juste après les accords de Genève en 1954, Hoa s'envole vers la Nouvelle-Calédonie, île natale de Maurice, son nouveau compagnon, avec deux de ses trois enfants. Elle quitte le pays de ses ancêtres, mue par l'espoir de construire une vie plus paisible, mais la mort dans l'âme de devoir laisser à Saigon sa fille aînée, Mai, alors âgée de quinze ans. Celle-ci se considère mal traitée par l'ancienne patronne de sa mère. Mai s'enfuit alors et part à la recherche de son père, qu'elle n'a pas connu. Mai choisira-t-elle de rester au Vietnam, en continuant le combat de son père contre le colonialisme, ou de rejoindre sa mère dans le Pacifique ?
ISBN : 978-2-296-08611-1 • mai 2009 • 224 pages

L’hommage à la Calédonie de l’inspectrice de français

Sa jeunesse est une aventure, au milieu des troubles du Vietnam et de l’Algérie. Annick Le Bourlot y a puisé la matière d’un roman, où la Calédonie a sa part comme terre d’accueil.
Elle dit d’elle-même qu’elle était condamnée à ne pas vivre, et à ne pas réussir. Née prématurée dans la jungle, près d’Hanoï, elle a miraculeusement survécu. Enfant dans la guerre du Vietnam puis d’Algérie, elle a étudié pour se libérer de l’angoisse du terrorisme.Un demi-siècle plus tard, la petite Maï est devenue Annick Le Bourlot, inspectrice d’académie, inspectrice pédagogique régionale en français, basée à Nouméa.
Elle affirme qu’elle doit sa réussite à l’école française.?Voici quelques mois, à l’occasion du Forum francophone du Pacifique, elle publiait Aux bâtisseurs de l’école de la réussite, un hommage aux professeurs de lettres. Un ouvrage essentiellement didactique, mais dont quelques pages autobiographiques laissaient présager le roman à venir.
Ce roman, Annick Le Bourlot l’a présenté la semaine dernière, lors d’une soirée littéraire au musée de la Mer, en présence du vice-recteur, du membre du gouvernement chargé de l’éducation, du président du Cercle des auteurs du Pacifique et de nombreux enseignants avec qui elle travaille et dont elle a gagné l’estime.
« La culture permet à l’homme d’échapper à ses haines et à la violence »
Chaque nuage est nimbé de lumière, paru dans la collection Lettres du Pacifique chez l’Harmattan, n’est pas une autobiographie mais un récit historique qui a fini par tourner au roman. Il parle de déchirures familiales, de quête du père, de violence et d’exil dans un Vietnam en guerre, de départ vers un territoire étranger et inconnu qui deviendra refuge, la Nouvelle-Calédonie. C’est une histoire de chez nous, qu’ont vécue bien des Calédoniens.
En bonne inspectrice de lettres, Annick Le Bourlot sait bien que toute interprétation d’une œuvre romanesque est plurielle. Certains y verront des messages de telle ou telle nature. Il en est un, au moins, qu’elle souhaite affirmer. C’est que « la culture, particulièrement artistique et littéraire, antidote à la guerre et à notre condition de mortel, permet à l’homme d’échapper à ses haines et à la violence ».
En fin de séjour, Annick Le Bourlot doit quitter le territoire dans quelques mois. Première inspectrice de lettres d’origine vietnamienne, elle laissera derrière elle, outre ses deux livres personnels, deux ouvrages en voie d’achèvement : un manuel de français à base de littérature calédonienne, et un livret d’évaluation 6e rénové. Elle en a donné l’impulsion, mais la réalisation en a été faite collectivement par plusieurs groupes de ces enseignants à qui elle rend hommage. « Je constitue avec vous, leur a-t-elle dit la semaine dernière, un maillon dans une chaîne de solidarité au service des élèves. »
Les Nouvelles Calédoniennes du 10/07/2009

2.7.09

De la baie d’Along à Sainte-Marie

À 20 ans, Nguyen Thi Y, dite Marie, quitte son Vietnam natal pour la Nouvelle-Calédonie et une vie plus douce. La mine de Tiébaghi aura vite fait de doucher ses espoirs. À 94 ans, sourire aux lèvres, la vieille dame se souvient…


Marie, de son vrai nom Nguyen Thi, est née le 10 mars 1915 à Haiduong ans la province de Hai Hung, au Nord du Vietnam. Son entreprise familiale de fonderie et avait trois épouses. Avec un sourire qui dévoile des dents laquées en noir (une tradition séculaire au Vietnam), la vieille dame raconte : « Chaque épouse logeait dans une maison. Mon père allait et venait à sa guise. Il avait l’embarras du choix ! ». La première femme avait donné naissance à quatre enfants et la troisième à cinq – deux filles, Thi Cong et Thi Y (Marie), et trois garçons, Ba Truong, Ba Nhi et Ba Trac. Quant à la deuxième épouse, elle n’eut pas d’enfant.
Marie ne sait ni lire ni écrire. À 12 ans, elle travaille pour aider sa famille : « Je devais frotter les
objets en fonte fabriqués dans notre atelier pour les faire briller. Plus tard, je suis allée vendre notre marchandise dans les communes voisines ».
Au fil des années, les relations avec sa sœur aînée Thi Cong se dégradent. C’est ce qui la pousse à partir de la maison. « J’avais entendu dire qu’il y avait des bateaux qui emmenaient les gens pour aller travailler dans le Pacifique. Beaucoup d’entre nous avons signé des contrats de cinq ans, dans l’espoir d’une vie meilleure à l’étranger. »


La fugue…

Un matin, sous prétexte d’aller vendre la marchandise, Marie se sauve de chez elle. Elle descend en train à Haiphong et, de là, embarque avec neuf cents autres compatriotes à bord du Lapérouse. « Je ne savais même pas où se trouvait la Nouvelle-Calédonie ! » Le 20 décembre 1935, elle débarque au port de Nouméa et dès le lendemain, se retrouve à Tiébaghi. Arrivées au camp, les femmes célibataires sont regroupées par quatre dans un studio. Chaque couple a droit à un petit logement individuel. Matricule 960, Marie est femme à tout faire, aux ordres du patron. Les Indochinois sous contrat sont traités comme des esclaves. « Au début, nous n’avions pas de jour de repos. Par la suite, nous avons eu droit au week-end, mais le samedi était réservé au nettoyage dans le camp. »



17 enfants !

Peu de temps après, Marie rencontre Nguyen Viet Dac qui deviendra son compagnon. De cette union, sont nés dix-sept enfants, mais seuls treize ont survécu. Marie les a mis au monde toute seule et sans aide. Elle travaille sans relâche pour 50 F par mois les deux premières années, puis 60 F et 70 F les suivantes. Au bout de cinq ans, le contrat s’achève, le couple et toute sa progéniture décident de rester à Tiébaghi. La vie s’améliore peu à peu, la communauté asiatique est autorisée à fêter chaque année le Têt. Une école vietnamienne, destinée aux enfants des travailleurs des camps, voit le jour. Viet Dac travaille toujours à la mine, tandis que Marie reste à la maison pour garder les enfants. « Beaucoup d’hommes sont morts dans la mine. Quand mon mari partait le matin, je ne savais pas s’il reviendrait vivant.»

Retour au Vietnam

À la fermeture de la mine en 1960, la famille décide de repartir au Vietnam, à l’exception de Marie qui reste à Nouméa chez l’une de ses filles, Thi Dieu (Yvette), mariée à un Français. Mais au bout d’un an, elle aussi rentre au pays. Un exode très mal vécu par les enfants nés en Calédonie. C’est la mort dans l’âme qu’en 1963 ils embarquent à bord de l’Eastern Queen.

Au foyer N’Géa depuis 1986

Au Vietnam, avec ses petites économies, la famille achète une maison proche de la baie d’Along, dans la province de Quang Ninh d’où est originaire Viet Dac. Ce dernier travaille quelque temps à la mine de charbon. « J’étais contente de retourner au Vietnam, mais la vie était dure et chère et nous étions considérés comme des étrangers.»
Mais en 1982, Marie revient en Nouvelle-Calédonie. Viet Dac décède peu de temps après. Elle habite pendant quatre ans chez Yvette, la seule à n’être pas partie au Vietnam vingt ans plus tôt, avant de faire une demande de logement au foyer N’Géa où elle vit depuis 1986.
Aujourd’hui, quatre de ses enfants vivent en Calédonie, tous les autres sont au Vietnam. Sa descendance compte plus de 200 personnes à ce jour, dont une centaine d’arrière-petits-enfants. « Mon rêve, dit-elle avec un grand sourire, serait de réunir tous mes enfants, petits-enfants et arrière petits-enfants du Vietnam et de Nouvelle-Calédonie ».


Traités comme des bêtes

Son regard se voile de tristesse quand elle repense à la cruauté des surveillants dans le camp de Tiébaghi : « Alors que j’étais sur le point d’accoucher, j’avais demandé l’autorisation au chef d’équipe de rester à la maison car j’avais mal au ventre, mais il m’avait répondu : “Non, tu travailles jusqu’à ton accouchement et si tu meurs avec ton bébé, on fera un trou sur place et on t’enterrera !” » Après quoi, il l’avait fouettée… Une fois que les femmes avaient accouché, les bébés étaient confiés rapidement à une nounou afin que le travail reprenne au plus tôt.


par Corinne Nguyen
Dans Courrier Sud de juin 2009