C’est à Pouembout que Jean-Pierre Dinh est né, le 27 octobre 1948, troisième d’une famille de quatre enfants. Descendant des Chang Dang, ces travailleurs vietnamiens « engagés sous contrat » et arrivés en Calédonie dès 1891, il deviendra aide comptable puis commerçant à Nouméa (le célèbre magasin Obélix, à la Vallée des Colons, c’est lui), agent commercial enfin, et aujourd’hui retraité…actif ! Notamment auprès de l’Amicale vietnamienne dont il est le président réélu depuis un an, après un premier mandat. Marié, père de Franck, électricien, et de Marie-Laure, professeur de mathématiques, sa priorité reste la famille, chérissant ses petits-enfants… comme personne ! Ou comme tout Vietnamien qui se respecte ?
DNC : Que représente la fête du Têt pour les Vietnamiens ?
Jean-Pierre Dinh : C’est la célébration du premier jour de l’an lunaire asiatique, c’est donc le commencement d’une nouvelle année et un des moments les plus emblématiques pour se retrouver entre Vietnamiens du territoire… Et du Vietnam. D’ailleurs ma grande fierté, cette année, c’est qu’il y en aura 95% pour le bal annuel alors qu’auparavant, il y avait plutôt 80% d’Européens! Quatre jeunes vietnamiens arrivés récemment seront parmi nous pour partager un show que toute la communauté prépare depuis des mois. Feux d’artifices, tenues et plats traditionnels pour tous !
DNC : Cette fête est indissociable de l’astrologie chinoise et nous entrons le 10 février dans l’année du serpent d’eau : que nous réserve-t-elle ?
Jean-Pierre Dinh : Tout ce que je sais c’est qu’un serpent, c’est comme une anguille, ça se faufile, c’est malin…Que faut-il en conclure ? Ce sont des croyances…
DNC : Quels liens entretiennent les Vietnamiens avec les autres communautés du territoire ? Jean-Pierre Dinh : Nous sommes ouverts d’esprit et nous le prouvons au quotidien en partageant nos activités, nos locaux et structures avec toutes les autres ethnies. Notre championnat de football par exemple se dispute entre Kanak, Javanais, Chinois etc. sans exclusive. Notre « journée citoyenne » fait partie des moments forts organisés par la communauté et nous avons développé des partenariats pour les loisirs avec l’OPT, Coca-Cola entre autres entreprises locales. En fin d’année, sur les terrains de l’amicale, un tournoi de tennis est ouvert à tous, avec repas final. Pareil pour la pétanque.
DNC : Quelles activités spécifiques offrez-vous plus particulièrement pour faire connaître votre culture ?
Jean-Pierre Dinh : Du Viet Vo Dao, sport de combat vietnamien , du Viet Vo Sinh, sport de défense, du taï-chi, des cours de vietnamien gratuits et qui sont actuellement fréquentés par des Kanak, des Français et des Vietnamiens euxmêmes qui, faute d’avoir pratiqué, ont perdu leur langue d’origine. Mais on offre aussi des cours de français aux Vietnamiens qui viennent d’arriver !
DNC : Comment se décline aujourd’hui la solidarité entre membres de votre communauté ?
Jean-Pierre Dinh : En fait, on sait être solidaires quand il faut…. Le 24 février, on organise une Journée des vieux de Calédonie. Mais on est aussi solidaires de ceux qui sont retournés au Vietnam (dans les années 1946 puis 1950 et 1960). Nous menons un combat pour obtenir des visas pour ceux qui, nés en Calédonie et retournés au Vietnam en 60, souhaitent visiter leur famille ici. Et puis, à l’amicale, nous sommes parrains d’un orphelinat où sont accueillis les victimes de l’agent orange (produit chimique du temps des Américains). D’ailleurs je pars moi-même en mars leur amener des fonds. Enfin nous oeuvrons pour élever une stèle commémorant l’arrivée des premiers Vietnamiens sur le territoire.
DNC : Dans quels secteurs d’activités trouve-t-on aujourd’hui les Vietnamiens en Calédonie ?
Jean-Pierre Dinh : Un peu partout : certains sont docteurs, avocats, notaires, pharmaciens ; mais beaucoup s’impliquent dans le commerce, de manière générale.
DNC : Quelles sont les figures emblématiques de la communauté ?
Jean-Pierre Dinh : André Dang, grand patron des mines dans le Nord, Jean Van Maï, écrivain, la famille N’Guyen, qui a créé Michel-Ange, le viceprésident de l’amicale, Jean-Baptiste N’Guyen, marié avec Malia, la fille du grand chef Boula. Le père Ngo, catholique réfugié après à la chute de Saïgon, accueilli par la famille Dinh puis entré au séminaire de Païta, Monsieur Noyant (qui a donné son nom à la salle de tennis de table) la famille Chu Van, Diane Bui Duyet, Alain Levant, maire de Gomen…
DNC : Justement, y a-t-il beaucoup de Vietnamiens dans le Nord ?
Jean-Pierre Dinh : Non, pratiquement plus, ni dans les îles d’ailleurs.
DNC : Comment parler de la jeunesse vietnamienne ? Jean-Pierre Dinh : Je ferais la différence entre ceux qui sont arrivés récemment et nos enfants, plus « européanisés ». L’éducation n’étant pas la même, ni le contexte, ils ont évolué différemment.
Jean-Pierre Dinh : Mais si les « nôtres » ont perdu la pratique de la langue d’origine… ce qui est en passe d’arriver aussi aux nouveaux arrivants ! Ils ont cependant en commun ce qui est fondamental à mes yeux : le respect des anciens, de la famille, de l’autorité parentale. Le cadre et les exigences familiales demeurent. Les jeunes de chez nous ont un cadre défini, ce qui évite bien des dérives.
DNC : Comment comptez-vous inscrire votre action au sein de l’amicale : dans la continuité ou le changement ? Avez-vous une ambition particulière ?
Jean-Pierre Dinh : Mon but est de renforcer le rapprochement entre tous les Vietnamiens du territoire, et entre eux et ceux du Vietnam. Et pour cela lever les malentendus de ces dernières années, les incompréhensions entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés. C’est par le biais d’activités que je souhaite les impliquer tous. Comme des karaoke, des danses à deux, des cours de vietnamien intergénérationnels etc. Mais aussi des voyages au Vietnam ou la visite sur le territoire des Viet kieu (d’origine calédonienne mais retournés au Vietnam) comme celle récemment organisée. Ou encore créer des liens avec les vietnamiens de Port Vila par exemple.
DNC : Vous avez eu plusieurs femmes à la tête de l’amicale…
Jean-Pierre Dinh : Oui, Yvette Khac, Monique Favan…Les Vietnamiennes ont un statut de femmes modernes, elles sont travailleuses, responsables mais aussi très modestes et discrètes.
DNC : Entretenez-vous des liens autres que « historiques » et humains avec le Vietnam ?
Jean-Pierre Dinh : Culturellement, il est difficile de faire venir des danseurs, par exemple, nous n’en avons pas les moyens. Il faut rappeler que nous ne bénéficions d’aucune subvention et que nous louons notre terrain à la mairie de Nouméa. économiquement, nous avons des commerces locaux (comme Côte d’Asie) qui répondent à nos besoins. Par ailleurs, ce qui est fabriqué là bas n’a pas toujours la qualité de ce que l’on trouve ici. Donc les échanges sont réduits.
DNC : Comment êtes vous perçu à l’amicale ?
Jean-Pierre Dinh : On m’appelle « TTS », à traduire par « Tout, tout de suite » ; c’est vrai que je suis impatient et que j’aime qu’il y ait rapidement des résultats mais tous savent que dorénavant cette exigence et cette énergie, je la mets au service des vietnamiens . Je veux agir pour eux, en toute humilité. L’amicale, pour nous tous, c’est la Maison des Vietnamiens. Et je veux continuer de m’y impliquer en toute modestie, d’autant qu’il y a moins de bénévoles qu’avant et que nous avons plein de nouveaux projets.
DNC : En dehors de l’amicale, que trouvez-vous le temps de faire ?
Jean-Pierre Dinh : Comme tout Calédonien, j’adore la chasse, la plongée et la pêche. Je joue aussi du ukulele. Mais ce qui m’occupe surtout ce sont mes petits-enfants, 8 et 6 ans : ils sont un peu écossais, un peu Espagnols, un peu Caldoches et un peu Vietnamiens ! C’est ça aussi l’évolution…
Source :
dnc.nc - Publié le jeudi 7 février 2013 11:36
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire